Du 1er au 2 juillet 2025, une consultation nationale s’est tenue en Côte d’Ivoire, préparant la grande conférence régionale prévue en septembre au Cap-Vert, consacrée à l’intégrité de l’information en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Organisée sous l’égide de l’UNESCO, cette rencontre a réuni un large éventail d’acteurs publics, privés, associatifs et internationaux, engagés à renforcer la qualité et la fiabilité de l’information dans la région. Parmi les participants, Polaris Asso a activement contribué aux échanges, apportant son expertise sur les questions liées à la gouvernance numérique et à la lutte contre la désinformation.
Contexte : Des transformations numériques aux défis multiples
À l’ère des technologies numériques en pleine expansion, l’Afrique de l’Ouest fait face à une évolution rapide de ses modes de diffusion de l’information. Ces transformations ouvrent des voies inédites, notamment pour les voix plurielles et minoritaires, mais elles introduisent aussi de nouveaux risques majeurs : la prolifération de la désinformation, particulièrement en périodes de crise ou d’élections, menace la stabilité politique et sociale.
L’objectif principal de cette consultation était de mobiliser les parties prenantes autour d’une vision commune pour promouvoir des standards internationaux, encourager des politiques adaptées à la région et améliorer l’accès à une information fiable et équitable.
Initiatives clés et interventions marquantes
- CAIDP (commission d’accès à l’information d’intérêt public) a présenté la transformation digitale locale, notamment le lancement d’une plateforme nationale d’accès aux documents publics. Comme le rappelle leur devise, « Au-dessus de la désinformation, il y a l’information », soulignant l’importance d’une source fiable et accessible.
- La Délégation de l’Union Européenne (DUE) a mis en lumière l’initiative nationale ivoirienne « Stop au sorcier numérique », qui a déjà sensibilisé plus de 50 000 personnes sur les dangers de la désinformation et la nécessité d’une souveraineté numérique pour préserver la cohésion sociale.
- GIZ a annoncé la prochaine conférence régionale dédiée à l’intégrité de l’information, avec l’objectif d’établir un plan d’action basé sur les meilleures pratiques et recommandations, aligné avec la stratégie de transformation numérique de l’Union Africaine (2020-2030).
- Article 19, organisation de la société civile engagée dans l’accès à l’information, a insisté sur les défis liés à l’usage non maîtrisé de l’intelligence artificielle et à la circulation majoritaire d’informations en langues étrangères, alors que la majorité des populations parlent des langues locales. L’éducation aux médias, le partage des bonnes pratiques et une politique éducative renforcée sont des leviers essentiels.
Points saillants des débats
- L’intégrité de l’information comme droit fondamental – Fatou Diaye Senghor (Article 19) a rappelé que l’information est un droit humain fondamental, inscrit à l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Elle a également souligné que les défis contemporains se situent dans la régulation des plateformes dominées par les géants étrangers (GAFAM) et dans l’adaptation des cadres législatifs hérités d’époques plus répressives.
- Approche sociale et gouvernance des plateformes numériques– Habibou Bako (Search for Common Ground) a insisté sur la nécessité d’une modération intelligente et adaptée, combinant lois, institutions renforcées et initiatives citoyennes. Il a présenté les risques de polarisation, cyberharcèlement et exposition dangereuse des mineurs sur internet.
- La réalité ivoirienne et les spécificités locales – Marthe Coulibaly (CIDDH) a rappelé que la désinformation en Côte d’Ivoire a provoqué des conflits intercommunautaires, notamment lors de l’élection présidentielle de 2020. Elle a aussi expliqué les limites dans la garantie de la liberté d’expression, souvent restreinte sur les sujets sensibles.
- Cadre normatif régional et défis linguistiques – Abdoulaye Diaye a présenté un panorama des lois sur l’accès à l’information dans 15 pays d’Afrique de l’Ouest, soulignant que la majorité des lois existent mais manquent de vulgarisation et d’application, notamment dans les langues locales. Il a insisté sur la nécessité d’une meilleure appropriation des textes par les citoyens.
Recommandations majeures issues de la consultation
- Adopter et appliquer des lois sur l’accès à l’information conformes aux standards internationaux.
- Créer des institutions indépendantes pour superviser la mise en œuvre de ces lois.
- Développer des infrastructures numériques permettant la publication proactive des données publiques (portails ouverts).
- Renforcer les capacités des acteurs publics et de la société civile à produire, utiliser et demander des données fiables.
- Intégrer systématiquement l’éducation aux médias et au numérique dans les programmes scolaires, dès le primaire, dans plusieurs langues locales.
- Mutualiser les ressources humaines et encourager le partage des bonnes pratiques entre les pays et les acteurs.
- Mettre en place des mécanismes régionaux de régulation, avec une coordination entre régulateurs anglophones et francophones.
- Diversifier les moyens de diffusion de l’information en privilégiant les langues traditionnelles, pour toucher une plus grande partie de la population.
- Renforcer la culture du fact-checking et la résilience face à la désinformation, via la formation continue et la sensibilisation.
Gouvernance des plateformes : un défi global et régional
Les discussions ont aussi abordé la puissance croissante des plateformes numériques, parfois plus influentes que les États eux-mêmes. Le rôle des régulateurs locaux, l’implication des médias et la transparence dans les algorithmes restent des points sensibles. Une éducation aux médias dès le plus jeune âge est impérative pour construire une génération capable de décoder l’information, de résister aux manipulations numériques et d’agir de manière responsable.
Perspectives
Cette consultation marque une étape cruciale vers la conférence régionale du Cap-Vert. Elle a permis de poser les bases d’un cadre régional solide pour la promotion de l’intégrité de l’information, conjuguant innovations technologiques, éducation, cadre législatif et collaboration multi-acteurs.
Le succès de ces efforts conditionnera la capacité des pays d’Afrique de l’Ouest à garantir un environnement informationnel sain, facteur indispensable de stabilité démocratique, de cohésion sociale et de développement durable.